Présentation
Marie-Christine Pollet
Université libre de Bruxelles
1. Fondements
D’emblée, la dénomination du groupe de recherche LUDDES centrée sur l’enseignement supérieur est révélatrice d’une évolution importante dans le champ des Littéracies universitaires. En effet, si la manière de désigner celui-ci n’a pas changé, le contexte institutionnel des discours qui en constituent le terrain d’analyse et de théorisation a quant à lui connu un développement notable : il ne s’agit plus du seul contexte universitaire mais de celui de l’enseignement supérieur au sens large, ou postobligatoire, dans une autre désignation possible[1]. Si les environnements ne sont pas absolument identiques et, même, représentent une diversité importante en ce qui concerne les enjeux de formation et leurs spécificités, « cet élargissement sémantique témoigne d’une volonté commune de reconnaitre les usages plus complexes de l’utilisation du langage dans un environnement particulier d’études et de former les étudiant.es à de nouveaux modes de rapport aux savoirs, à leur élaboration, leur communication et leur réception » (Pollet, 2021 : 68).
C’est donc l’enseignement supérieur dans son ensemble qui est envisagé ici, comme catégorie générique englobant divers contextes d’études, y compris professionnalisantes. Cette extension ouvre par ailleurs à une plus grande variété d’objectifs, de pratiques et de discours correspondant aux spécificités de divers environnements institutionnels, disciplinaires et épistémologiques.
Une autre particularité, dans l’appellation du groupe, tient dans l’articulation entre le champ des « Littéracies universitaires » qui historiquement se focalise sur les pratiques de l’écrit et le cadre plus large des « discours » – au-delà de l’écrit, donc – de l’enseignement supérieur.
Tout d’abord, le premier axe thématise le concept de « Littéracies universitaires » [2], qui s’est développé en francophonie dans la filiation des Academic littéracies britanniques et des Composition studies états-uniennes, se caractérise par sa double acception. L’expression peut en effet désigner très concrètement l’ensemble des genres et pratiques de l’écrit à l’université. Mais elle dénomme également le champ de recherche qui les théorise, en mettant l’accent « sur les dimensions contextuelles, sociales et culturelles des pratiques de lecture et d’écriture » (Delcambre, 2012 : 29). A ce principe de contextualisation, s’ajoute celui de continuum dans les apprentissages, y compris dans un environnement académique. L’intégration[3] de ces deux éléments marque l’apport essentiel du champ des Littéracies universitaires en didactique du français dans l’enseignement supérieur : la légitimité, au sein de cet ordre d’enseignement, du traitement des difficultés en langue des étudiant.es tenant compte des spécificités des savoirs disciplinaires et des besoins en la matière au fil du cursus (Delcambre, 2012 – Reuter, 2012). En effet, dans une perspective didactique, puisque « les pratiques d’écriture instituent les disciplines » (Delcambre et Lahanier-Reuter, 2010 : 28), ce champ peut être relié à la formation des étudiant.es et les aider à entre dans leurs disciplines « par une formation centrée sur le développement de compétences lecturales et scripturales adaptées aux cultures disciplinaires mais aussi aux genres pratiqués et attendus dans leur contexte d’études » (Pollet, 2020 : 101).
Ensuite, le deuxième axe de la dénomination du groupe met quant à lui l’accent sur les discours, élargissant ainsi notre intérêt au-delà des pratiques de l’écrit stricto sensu. En effet, les apports fondamentaux de la recherche en Littéracies universitaires dans son terrain d’origine peuvent nous offrir le cadre dans lequel analyser un pan plus large des discours de l’enseignement supérieur et les fondements sur lesquels bâtir un espace didactique tenant compte des évolutions relatives à l’élaboration des savoirs dans cet environnement.
Il ne s’agit bien sûr pas ici de mettre le concept de littéracie à toutes les sauces ni de renier le contexte du rapport à l’écrit dans lequel il a émergé et s’est construit [4].
Néanmoins, au moment où émergent dans nos institutions de nouveaux objets de connaissance, de nouveaux genres et supports de discours, de nouveaux outils et de nouveaux rapports aux savoirs, au moment, donc, où se modifient les contextes d’enseignement et d’accueil des étudiant.es, peut-être pouvons-nous nous donner l’objectif d’envisager de possibles ouvertures vers des pratiques discursives variées.
Il ne s’agit donc nullement de trahir les fondements et les implications didactiques du cadre historique des Littéracies universitaires. Il s’agit plutôt, au contraire, de s’appuyer sur eux pour répondre à de nouveaux besoins relatifs à la diversification des modes de construction/diffusion des savoirs (avec des genres relevant de l’oral ou du scripto-oral), à l’arrivée de nouveaux publics (hétérogénéité de plus en plus grande des étudant.es primo-entrant.es, diversification des publics allophones, des étudiant.es en mobilité aux exilé.es), à la croissance des outils technologiques, sans oublier les bouleversements provoqués par l’irruption des I.A.
Dans ce contexte, le groupe LUDDES rassemble des chercheur.ses dont le point commun consiste en leur contribution active à l’essor actuel des travaux consacrés à l’analyse des discours de l’enseignement supérieur, dans leurs différentes composantes génériques, les différents champs d’activité qu’ils concernent et leurs différentes zones de développement.
Au sein de notre groupe, les approches discursives et linguistiques sont centrales en ce qui concerne les descriptions et analyses théoriques. Elles sont toutefois envisagées dans une perspective didactique de formation des étudiant.es aux discours qui constituent leur environnement d’études, allant de l’acculturation précoce (dès la première année, dans l’idée d’atténuer le fameux « choc littéracique » de l’arrivée dans le supérieur) à l’entrée progressive dans les divers paliers discursifs de l’enseignement supérieur.
[1] En témoignent, par exemple, ces quelques publications : La didactique du français dans l’enseignement supérieur (Fintz éd., 1998), le numéro 17 de Lidil : « Pratiques de l’écrit et modes d’accès au savoir dans l’enseignement supérieur (1998) », les numéros 53 et 54 d’Enjeux : « L’écrit dans l’enseignement supérieur » (2002), le numéro 29 de Spirale : « Lire-écrire dans le supérieur » (2002). Plus tard : Ecrire dans l’enseignement supérieur (F. Boch et C. Frier dir., UGA Editions, 2020), Ecrire et faire écrire dans l’enseignement postobligatoire (M. Niwese, J. Lafont-Terranova, M. Jaubert dir., Presses du Septentrion, 2019), ou encore Former à l’écrit, former par l’écrit dans le supérieur (Scheepers dir., De Boeck Supérieur, 2021).
[2] A propos de l’orthographe, variable, du mot : voir I. Delcambre et M.-C. Pollet (2014) : « nous avons choisi, quant à nous, d’écrire littéracies (pour l’anglais literacies) comme un compromis entre la racine française qui relie ce terme à la famille des termes « lettres, littérature, etc. » et la finale anglaise – cie (bien que cette finale ne soit pas inconnue en français), sans oublier la marque du pluriel, qui renvoie pour nous à un des aspects du concept, la diversité des pratiques désignées par le terme de littéracies (Lea, 2008) ».
[3] Dans les deux sens du terme : intégration entre les deux principes et intégration dans nos éthos de chercheur.ses en didactique du français
[4] Voir à ce sujet : O. Dezutter et M. Lépine (2020), qui proposent une vision élargie de la littéracie, mais en la maintenant dans le domaine du savoir lire-écrire, sans toutefois rejeter, dans l’absolu, l’oral et ses interactions étroites avec l’écrit.
2. Objectifs de LUDDES
Le groupe LUDDES poursuit trois objectifs, étroitement articulés :
- devenir un lieu de partage entre les enseignant.es-chercheur.ses qui étudient les spécificités communicationnelles – discursives, linguistiques et sociales – des discours de l’enseignement supérieur ;
- participer à la reconnaissance et au développement de la recherche dans le champ des Littéracies universitaires, par la veille scientifique, les publications et l’organisation de séminaires et journées d’études ;
- contribuer ainsi à l’élaboration d’une didactique des discours dans l’environnement de l’enseignement supérieur, dans une perspective de formation en contexte et en continuum.
Références de cette présentation
Boch, F. et Frier, C. (dir.) (2020). Ecrire dans l’enseignement supérieur. UGA Editions (1ère édition, Ellug, 2015).
Delcambre, I. (2012). De l’utilité de la notion de littéracies pour penser la lecture et l’écriture dans l’enseignement supérieur. Diptyque, 24, p.19-35.
Delcambre, I. et Lahanier-Reuter, D. (2012). Littéracies universitaires : présentation. Pratiques, 153-154, p. 3-20.
Delcambre, I. et Pollet, M.-C. (coord.) (2014). Spirale, 53 : Littéracies en contextes d’enseignement- apprentissage.
Dezutter, O. et Lépine, M. (2020). La littéracie. Une vision élargie du savoir lire-écrire. Quelles conséquences pour l’enseignement du français ? Les Dossiers des Sciences de l’Education, 43 : La littératie. Un espace conceptuel pour l’enseignement et l’éducation, p.33-46.
Fintz, C. (éd.) (1998). La didactique du français dans l’enseignement supérieur. Bricolage ou rénovation ? L’Harmattan.
Niwese, M., Lafont-Terranova, J., et Jaubert, M. (dir.) (2019). Écrire et faire écrire dans l’enseignement postobligatoire. Enjeux, modèles et pratiques innovantes. Presses Universitaires du Septentrion.
Pollet, M.-C. (2020). Auctorialité et auctorialisation scientifiques : pour un accompagnement des étudiants à l’aune du concept de littéracies universitaires. Les Dossiers des Sciences de l’Education, 43 : La littératie. Un espace conceptuel pour l’enseignement et l’éducation, p.99-113.
Pollet, M.-C. (2021). Les recherches consacrées à l’écrit dans l’enseignement supérieur. Vers une approche intégrée ». Dans C. Scheepers (dir.) Former à l’écrit, former par l’écrit dans le supérieur, Bruxelles : De Boeck, p. 67-83.
Reuter, Y. (2012). Les didactiques et la question des littéracies universitaires. Pratiques, 153-154, p. 161-176.
Scheepers, C. (dir.) (2021). Former à l’écrit, former par l’écrit dans le supérieur, Bruxelles : De Boeck.
Lidil, 17, 1998 : Pratiques de l’écrit et modes d’accès au savoir dans l’enseignement supérieur.
Enjeux, 53 et 54 (2002) : L’écrit dans l’enseignement supérieur.
Spirale, 29 (2002) : Lire-écrire dans le supérieur.